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« On fait le point » sur les outils de communication et collaboration professionnels : usages et impacts

Dernière mise à jour : 15 mai

Plusieurs rapports récents [1] proposent de faire le point sur la digitalisation des entreprises et l’évolution des pratiques communicationnelles dans le monde du travail. Alors que les IA génératives continuent de faire le buzz dans ce domaine, ces analyses permettent d’aborder en profondeur un sujet a priori moins médiatique mais pourtant bien plus prégnant dans notre quotidien de travail : celui des outils de communication et de collaboration professionnels dont l’usage s’est fortement développé depuis 5 ans. En permettant de comparer les mesures objectives des usages et les ressentis des usagers, ces études offrent un point d’étape indispensable : Où en est-on dans l’utilisation de ces outils ? Quels sont leurs impacts sur le travail et les travailleurs ? Quelles sont les personnes les plus impactées et les points de vigilance à surveiller attentivement ?  Il est temps de sortir la tête du guidon et de prendre un peu de recul pour mieux appréhender les mutations profondes dont ces technologies professionnelles sont porteuses.

 

Le mix communicationnel numérique : une évolution tout en douceur

Selon les déclarations des usagers, l’outil de communication numérique le plus utilisé reste l’e-mail. Malgré les nombreuses critiques dont il est l’objet depuis des années, cet outil conserve une place centrale dans les échanges numériques professionnels aux yeux des répondants. 66 % des 2405 actifs sondés dans le cadre du rapport mené par l’ObSoCo, la fondation Jean Jaurès et Arte disent ainsi utiliser quotidiennement l’e-mail, loin devant les visioconférences (31%), les messageries instantanées (25%) et les nouvelles messageries d’entreprise (type Slack ou Teams à 23%). 

 

Les mesures objectives des traces numériques laissées par les usagers dessinent cependant une image un peu différente.

A contre-courant des ressentis des usagers, les données collectées par Lecko à partir de l’analyse des flux numériques réels révèlent que le tchat a désormais supplanté l’e-mail : il serait devenu « le moyen de communication dominant » en entreprise et ce quel que soit le type d’interlocuteur avec lequel nous interagissons dans le cadre de notre travail.


 

analyse des flux numériques réels révèlent que le tchat a désormais supplanté l’e-mail : il serait devenu « le moyen de communication dominant » en entreprise et ce quel que soit le type d’interlocuteur avec lequel nous interagissons dans le cadre de notre travail
Source : Lecko (2025)

Les mesures de l’OICN donnent un aperçu plus nuancé de la situation en distinguant les organisations qui ont déployé de nouveaux outils collaboratifs de celles qui ne l’ont pas fait. Dans ces dernières, l’e-mail reste effectivement l’outil de communication privilégié, mais il se fait progressivement devancer par le tchat dans les autres structures.


 

Le taux d’usage des outils numériques reste cependant très dépendant du niveau hiérarchique de l’usager
Source : OICN (2024)

 

Le taux d’usage des outils numériques reste cependant très dépendant du niveau hiérarchique de l’usager comme le montrent les mesures de l’OICN : plus on grimpe les échelons et plus l’e-mail est utilisé au détriment du tchat. Les usages du tchat ont également tendance à se concentrer sur certaines classes d’âge d’après les mesures de Lecko : celles qui englobent les 23-42 ans.

 


es usages du tchat ont également tendance à se concentrer sur certaines classes d’âge
Source : Lecko (2025)

Mais dans tous les cas (qu’il s’agisse des données collectées par l’OICN ou Lecko), un même constat ressort des mesures : la très faible pénétration des canaux/groupes collaboratifs proposées par les nouvelles messageries d’entreprise de type Teams, comparée à la remarquable percée du tchat.

 

L’infobésité : le mal du siècle

En termes d’impact, le problème de surcharge informationnelle qui avait un temps été délaissé au profit de l’hyperconnexion revient sur le devant de la scène. Le cœur du rapport de l’ObSoCo mené avec la Fondation Jean Jaurès et Arte est en effet consacré à ce thème à travers la notion de « fatigue informationnelle ». Après avoir fait l’objet d’un premier rapport sur la fatigue médiatique[2], celui-ci s’intéresse au phénomène tel qu’il s’exprime dans le monde professionnel et qui serait à l’origine d’une « nouvelle forme de pénibilité au travail ».

Cet indicateur de « fatigue informationnelle » est ici basé sur 5 variables qui en font un concept très proche de celui d’« infobésité » et de ses méfaits [3] : débordement informationnel, difficulté décisionnelle, confusion des priorités, diminution de la concentration, temps excessif consacré au tri d’informations.

 

La fatigue numérique

Ce phénomène de « fatigue informationnelle » concerne 1/4 des actifs interrogés. Il est donc loin d’être anecdotique, d’autant qu’une partie des répondants à l’enquête n’utilisent pas nécessairement les outils de communication numérique dans leur quotidien de travail : 34 % des sondés n’ont par exemple, pas de boîte mail professionnelle. Ceux qui en disposent déclarent recevoir en moyenne 32 e-mails par jour, soit l’équivalent de 160 par semaine. Ici encore, les chiffres diffèrent selon le statut hiérarchique et, sans surprise, s’aggravent avec la montée en grade : les cadres disent en recevoir en moyenne 225 et les dirigeants 290 par semaine. 

Les chiffres recueillis par l’OICN à partir de l’analyse des flux numériques d’une dizaine d’organisations dessinent ici encore une image légèrement différente. Si le panel de base n’a pas vocation à être représentatif des entreprises françaises [4], il n’en offre pas moins des résultats intéressants. Les données numériques recueillies dans ces dix structures font état d’un chiffre bien moins élevé d’e-mail reçus par les collaborateurs (104 au lieu de 160), légèrement inférieur pour les cadres-managers (205 contre 225) mais largement sous-estimé pour les dirigeants (342 contre 290).

 

Les actifs possédant une boîte mail professionnelle disent également consacrer en moyenne 55min au traitement de leurs e-mails par jour, soit près de 5h par semaine. Les chiffres varient évidemment en fonction des professions : les plus impactés sont les cadres et les professions intellectuelles (plus de 6h) suivis par les professions intermédiaires, les chefs d’entreprises et les professions libérales (5 heures et plus), les ouvriers sont les plus préservés (2h).

Les mesures de l’OICN, recueillies au sein d’entreprises du tertiaire [5] et de structures publiques, révèlent des chiffres un peu différents qui sont ici modulés en fonction du statut hiérarchique : 3h pour les collaborateurs, plus de 6h pour les managers mais plus de 10h30 pour les dirigeants.

Même si le temps passé à traiter ses e-mails déclaré par les répondants interrogés par L’ObSoCo, la Fondation Jean Jaurès et Arte sont inférieurs, il est jugé excessif par 33 % des actifs. Ces répondants soulignent qu’une bonne partie de cette fatigue numérique pourrait être amoindrie en évitant les messages inutiles : ils jugent en effet que la moitié des e-mails reçus ne les concernent pas directement et qu’ils ont tendance à noyer les messages importants tout en interrompant continuellement leur activité.

 

La réunionite

Mais les outils de communication numérique ne sont pas les seuls facteurs d’infobésité en entreprise : les réunions « cannibalisent » elles aussi le temps de travail.

Les données des différents rapports sont cependant difficiles à faire concorder ici. Les actifs ayant répondu à l’enquête de l’ObSoCo, de la Fondation Jean Jaurès et d’Arte évoquent 66 minutes de réunion par semaine en moyenne, et près de 3h30 pour les cadres. Un chiffre élevé mais qui reste très raisonnable en comparaison des mesures effectuées par Lecko selon lesquelles le temps passé en réunion représenterait la moitié du temps de travail des managers. A mi-chemin, les mesures effectuées par l’OICN font état de 4h30 de réunions par semaine pour les collaborateurs, près de 10h pour les managers et près de 16h pour les dirigeants.

Mais quels que soient les chiffres retenus, les enquêtes qualitatives menées auprès des travailleurs témoignent toutes d’une forme de saturation : 21 % des actifs interrogés sur L’ObSoCo, la Fondation Jean Jaurès et Arte déclarent passer trop de temps en réunion et que cela affecte leur travail. Un chiffre qui grimpe à mesure que les réunions s’accumulent : 35 % pour ceux qui font plus de 4 réunions par mois et 57 % pour ceux en font plus de 10. La sensation de passer trop de temps en réunion s’aggrave également lorsque l’on travaille dans une grande entreprise et que l’on a une fonction d’encadrement. Au total, 28 % jugent qu’il y a trop de réunions et 15 % les trouvent inutiles. Selon l’enquête menée par Ipsos pour Lecko, ils sont 58 % à considérer que plus de la moitié de leurs réunions pourraient être réduites ou évitées.

 

Les impacts sur la QVT et la santé mentale

A travers l’analyse des ressentis, les enquêtes qualitatives permettent de mieux comprendre les impacts de cette surcharge informationnelle sur la qualité de vie au travail (QVT) mais également sur le rapport au travail et à l’entreprise.

Sur tous les plans recensés par l’enquête sur la fatigue informationnelle, le quart des actifs qui en souffrent témoignent d’un plus grand pessimisme que les autres actifs : 36 % sont insatisfaits de leur QVT (contre 28%), 46 % sont insatisfaits du métier qu’ils exercent (contre 36%), 50 % estiment que leur travail se dégrade (contre 31%), 28 % disent ne pas avoir le sentiment de faire du bon travail (contre 19%), 42 % confient être dans le flou concernant l’avenir de leur entreprise (contre 25 %).

Leur santé mentale est également plus affectée : 69 % déclarent ressentir du stress (contre 56%), 55 % de l’anxiété (contre 43%) et 43 % de la déprime (contre 32%) ; 43 % souffrent de déprime (contre 32%), 34 % de solitude (contre 26%) et 24 % de dépression (contre 16%) ; 28 % ont connu un épisode de burn-out (contre 19%).

 

Typologie des populations les plus impactées 

Si les données collectées par l’OICN montrent que le problème s’aggrave avec le statut hiérarchique, l’enquête sur la fatigue informationnelle permet d’affiner l’analyse en termes de catégories socio-professionnelles à partir des ressentis : ici encore, les cadres et professions intellectuelles sont les plus touchés par cette forme de fatigue (42 % contre 26 % en moyenne) et les managers en souffrent davantage que les employés (38 % contre 21%). Mais les dirigeants d’entreprise seraient moins impactés (29%), avec un taux proche de celui des techniciens, contre-maîtres, agents de maîtrise ou des professions intermédiaires. Une nouvelle fois, les ouvriers en sont plus préservés (22%).

 

L’enquête sur la fatigue informationnelle dresse un portrait type des personnes atteintes par ce syndrome : « cadre supérieur et/ou manager, urbain, jeune et diplômé du supérieur ». Des réalités très différentes peuvent cependant se cacher derrière ce profil. L’analyse issue de cette enquête propose ainsi une typologie des actifs en fonction de la fatigue émotionnelle ressentie et de leur engagement dans le travail qui fait ressortir 5 profils :

 


typologie des actifs en fonction de la fatigue émotionnelle ressentie et de leur engagement dans le travail qui fait ressortir 5 profils
Source : tableau de S. Canivenc, sur la base de ObSoCo/Fondation Jean Jaurès/ Arte (2024)

Cette typologie souligne ici un enjeu clé : l’importance du soutien social, qui vient tempérer la fatigue informationnelle liée à l’usage intensif du numérique comme en témoigne parfaitement la figure des « connectés solidaires ». La lutte contre le sentiment de surcharge informationnelle va donc nécessairement de pair avec le développement « d’un environnement de travail collaboratif et solidaire ». 

 

Mise au point sur les facteurs susceptibles d’aggraver ou d’atténuer l’infobésité

Le contexte actuel présente autant d’opportunités pour amoindrir l’infobésité que de menaces qui pourraient l’exacerber.

 

En la matière, le télétravail est souvent considéré comme un catalyseur de surcharge informationnelle du fait des difficultés de coordination induites par la distance. Il représenterait un terreau propice à la multiplication des e-mails et des réunions (d’autant plus faciles à organiser depuis la démocratisation des outils de visioconférence).

Les conclusions de l’enquête menée par l’ObSoCo, la Fondation Jean Jaurès et Arte se veulent moins tranchées. Certes, les actifs en télétravail sont plus soumis à la fatigue informationnelle que la moyenne (38 % contre 26%). Pour autant, « lorsque le travail à distance devient la norme, c’est-à-dire au-delà de trois jours par semaine, les télétravailleurs ne se distinguent plus du reste de la population active (26 %) ». Le rapport avance ici une hypothèse basée sur les caractéristiques des métiers propices à cette dose élevée de télétravail : codeurs, graphistes ou webdesigners réalisent leur travail en grande partie de manière autonome sur la base de compétences techniques et créatives bien plus que sur des interactions avec la hiérarchie. Nous souhaiterions en proposer une autre liée aux effets d’apprentissage : comme le souligne le rapport, les actifs de ces métiers n’ont pas attendu la crise sanitaire pour exercer à distance et ont pu développer avec le temps des bonnes pratiques de collaboration conciliant distance physique et soutien social. Ces deux facteurs ne sont en effet pas antinomiques comme le révèle à nouveau la catégorie des « connectés solidaires », où les télétravailleurs sont les plus surreprésentés (59 % contre 32 % en moyenne).

 

En revanche, les espoirs que certains ont pu placer dans les IA génératives pour réguler l’infobésité grâce à leur incroyable capacité de traitement de données commencent à être tempérées. Lecko y voit clairement « une solution en trompe l’œil » basée sur une promesse « surfaite ». L’analyse menée sur les rythmes de travail d’utilisateurs de Copilot (l’IA générative de Microsoft) ne montre aucune diminution de l’intensité des échanges. En ce qui concerne les réunions, l’IA générative permet certes de gagner du temps sur la retranscription et la réalisation des comptes-rendus. Mais ce ne sont pas des données faciles à traiter pour ce type d’outil : comparés aux échanges écrits, les échanges oraux entre plusieurs personnes sont souvent plus désordonnés et peuvent faire l’objet de contre-sens de la part de la machine ou d’oublis du fait de prises de décision implicites. Les logiciels buttent également souvent sur des termes techniques liés au jargon des métiers ou, plus simplement, sur les noms de personnes ou des entreprises clientes. Une relecture attentive est donc souvent nécessaire et réduit d’autant le gain de temps espéré. En revanche, le compte-rendu effectué par la machine sera de bien meilleure qualité si les bonnes pratiques de réunion sont (enfin) appliquées : une réunion bien structurée et animée où les participants font preuve de discipline et de rigueur aidera l’outil à identifier les actions et décisions. Ce qui est d’ailleurs plus souvent le cas avec les réunions en 100 % distanciel qu’avec les réunions physiques ou hybrides.

C’est donc moins l’outil qui nous permettra de mieux gérer l’infobésité que les bonnes pratiques que nous pourrons déployées en la matière, et qui aideront autant l’humain que la machine... A défaut, les piètres résultats obtenus à l’aide de ces outils ne feront que refléter les dysfonctionnements de nos propres pratiques.

 

L’hyperconnexion : un phénomène qui se banalise

L’hyperconnexion est devenu un sujet central en entreprise, au point de donner naissance à une nouvelle loi dans le code du travail en 2016. Celle-ci vise à rappeler l’importance des temps de repos à une époque où les technologies numériques brouillent les frontières entre sphère professionnelle et personnelle.

 

Connexions en dehors des horaires

En matière d’hyperconnexion, un autre rapport vient nous éclairer sur l’ampleur du phénomène : une enquête Ifop consacrée à l’addiction au numérique et notamment aux smartphones, dont une partie traite de la consultation des e-mails professionnels en dehors des heures de travail. Les chiffres montrent clairement la banalisation de ce phénomène : 56 à 57 % des 1423 répondants consultent leurs e-mails professionnels à partir de leur smartphone le soir, le week-end ou en congés, 24 à 31 % le fait souvent et 20 % de temps en temps. Les chiffres recueillis par l’enquête de l’Obsoco, la Fondation Jean Jaurès et Arte sont légèrement inférieurs mais restent élevés : 45 % des actifs déclarent répondre à des sollicitations professionnelles en dehors des horaires officiels de travail, et 42 % consultent leurs messageries pendant leurs vacances : 11 % le font régulièrement, 16 % de temps en temps et 15 % rarement.

Ces chiffres peuvent être affinés avec les données issues de l’analyse des traces numériques effectuée par l’OICN auprès de 10 000 personnes appartenant à une dizaine d’organisations : les reconnexions impactent en moyenne 10 % des soirées et 14 % des week-ends. Ici encore, le phénomène s’aggrave de manière intensive avec le statut hiérarchique :



analyse des traces numériques effectuée par l’OICN auprès de 10 000 personnes appartenant à une dizaine d’organisations : les reconnexions impactent en moyenne 10 % des soirées et 14 % des week-ends.
Source : OICN (2024)

 

L’impact sur les congés est quant à lui mesuré à travers le décompte des semaines sans envoyer d’e-mails, avec des chiffres particulièrement élevés au regard des 5 semaines légales de congés en vigueur dans notre pays. Une nouvelle fois, les chiffres s’accroissent de manière vertigineuse au fil de la montée en grades :


impact sur les congés est quant à lui mesuré à travers le décompte des semaines sans envoyer d’e-mails, avec des chiffres particulièrement élevés au regard des 5 semaines légales de congés en vigueur dans notre pays
Source : OICN (2024)

 

Typologie des populations les plus impactées

Lecko propose ici une typologie distinguant 3 profils : les « hyperconnectés » (10 % du panel), qui sont régulièrement concernés par les connexions hors horaires ; les « hyperconnectés ponctuels » (75%) qui y sont surtout soumis pendant les périodes de surcharge ; et les « raisonnés » (15%) qui se connectent uniquement durant les heures usuelles de travail. Ici encore, ce sont les cadres qui sont les plus impactés.


typologie distinguant 3 profils : les « hyperconnectés » (10 % du panel), qui sont régulièrement concernés par les connexions hors horaires ; les « hyperconnectés ponctuels » (75%) qui y sont surtout soumis pendant les périodes de surcharge ; et les « raisonnés » (15%)
Source : Lecko (2025)

 

L’enquête de l’Ifop permet d’affiner l’analyse en termes de catégorie socio-professionnelle : les CSP+ sont effectivement les plus touchées mais dans cette catégorie, l’hyperconnexion concerne davantage les artisans et commerçants que les cadres ou professions intellectuelles supérieures. Par ailleurs, aucune catégorie n’est épargnée par le phénomène qui impacte toujours plus de 50 % des répondants, même lorsqu’on est ouvrier.

En termes de statut hiérarchique, l’enquête de l’Ifop confirme que les dirigeants sont bien plus impactés que leurs salariés : plus de 80 % d’entre eux consultent leurs messageries professionnelles le soir, le week-end ou en congés, contre 50 à 54 % des salariés (du privé comme du public). Ce dernier chiffre indique cependant une nouvelle fois que l’hyperconnexion concerne bien la majorité des travailleurs, quel que soit leur statut.

Les effets d’âge ne sont en revanche pas concordants dans les enquêtes. Les mesures de Lecko tendent à montrer une aggravation du phénomène à partir de 40 ans, tandis que l’enquête de l’Ifop indique au contraire que le phénomène s’amoindrit avec la montée en âge.

 

Pendant les horaires de travail

Mais l’hyperconnexion n’impacte pas seulement les temps de repos : elle vient également perturber les temps de travail. 30 % des actifs interrogés par l’ObSoCo, la Fondation Jean Jaurès et Arte déplorent ainsi des difficultés de concentration du fait d’interruption par des mails ou des notifications professionnelles. Les temps de réunion sont également impactés par le développement du multi-tâche comme le révèle l’OICN :


temps de réunion sont également impactés par le développement du multi-tâche
Source : OICN (2024)

Les impacts sur la qualité de vie 

Près de la moitié des actifs (47%) interrogés par l’ObSoCo, la Fondation Jean Jaurès et Arte disent ainsi « ressentir la pression d’être constamment connectés et disponible ». Cela conduit notamment à consulter compulsivement ses messageries numériques et à répondre très rapidement aux sollicitations reçus, au détriment du travail de concentration profonde. Les mesures de l’OICN révèlent ici que cette tendance à l’hyper-réactivité affecte l’ensemble des travailleurs de manière homogène, quel que soit son statut hiérarchique : que l’on soit dirigeant, manager ou simple collaborateur 18 à 20 % de nos réponses aux e-mails se font en moins de 5min et 50 % à 56 % en moins d’1h.



réponses aux e-mails
Source : OICN (2024)

Mais cette situation n’impacte pas seulement la QVT ou la qualité du travail, elle affecte également la qualité de vie au sens large. C’est ce que révèle une autre enquête menée par l’ObSoCo [6] consacrée à notre rapport au temps : près de deux tiers des Français (65%) ressentent l’impératif de « faire plus de choses en moins de temps » et près d’un quart (24%) affirme vivre sous une pression temporelle intense, transformant chaque journée en une course effrénée contre la montre. Cette pression temporelle « touche particulièrement les actifs, avec une acuité singulière chez les parents, et plus spécifiquement les femmes, qui cumulent souvent charges professionnelles et familiales ».

 

Recommandations : des mesures objectives et une pointe de philosophie

Les rapports ne s’arrêtent cependant pas à ces constats alarmants et proposent également des pistes pour nous permettre de faire face à ces défis de manière constructive.

 

Lecko enjoint tout d’abord les entreprises à mesurer les phénomènes d’infobésité et d’hyperconnexion au travers d’indicateurs tels que le nombre de reconnexions en dehors des heures de travail, le niveau de multitâche en réunion, le temps passé en réunion, etc. Ces mesures objectives sont « indispensables pour que l'évaluation soit partagée, obtenir un consensus d'actions et piloter une action dans le temps ». Lecko invite également les entreprises à compléter ces datas avec des données plus qualitatives par le biais d’un « baromètre QVCT Numérique venant enrichir les enquêtes sociales ».

C’est sur cette base que peuvent être définis « des règles d'organisation de la vie numérique », permettant notamment de « ré-expliquer quel outil utiliser de préférence pour un usage donné ». C’est également l’occasion d’encourager « les équipes à questionner le rôle de la réunion et accompagner les managers à revoir les modalités de réunion à l’ère du travail hybride et de l’IA générative ».

 

L’OICN propose lui aussi de partir de l’analyse des flux numériques à travers une plus grande diversité d’indicateurs : nombre de mails envoyés et reçus ; reconnexions en dehors des horaires,  le soir et le week-end ; absence de congés numériques ; hyper-réactivité des réponses ; taux d’usage des différents outils de communication à disposition ; temps de traitement des messages numériques et temps de réunion ; multi-tâches en réunion ; ciblage et audience des messages numériques, etc. Ici encore, ces données peuvent être complétées par des enquêtes qualitatives permettant de mieux comprendre les ressentis des acteurs internes.

Pour chacun de ces indicateurs, plusieurs « pratiques inspirantes » sont proposées afin d’améliorer les pratiques de communication et collaboration. Il ne s’agit pas ici d’imposer des règles univoques mais de laisser les équipes choisir celles qui sont les plus en phase avec leurs besoins opérationnels. L’OICN recommande également de sélectionner des indicateurs prioritaires sur lesquels agir et de suivre leur évolution dans le temps afin d’apprécier l’impact des politiques mises en œuvre.

 

Le rapport de L’ObSoCo, Jean Jaurès et Arte s’intéresse également aux stratégies mises en œuvre par les répondants pour réguler le flux d’information. L’enquête permet de faire ressortir des initiatives individuelles, qui sont malheureusement peu répandues (33 à 50 % ne les appliquent jamais) mais dont la mise en œuvre augmente chez les personnes qui souffrent de fatigue informationnelle :

 

enquête permet de faire ressortir des initiatives individuelles, qui sont malheureusement peu répandues (33 à 50 % ne les appliquent jamais)
ObSoCo/Fondation Jean Jaurès/ Arte (2024)

Le rapport note cependant que ces stratégies « ne peuvent être uniquement réfléchies au niveau individuel. C’est un défi sociétal qui nous oblige à repenser collectivement nos méthodes de travail et notre définition même du progrès et du bien-être professionnel ». Sont ici indiquées des « pistes mélioratives » qui rejoignent la mesure et le suivi des indicateurs évoqués précédemment : « droit à la déconnexion, limiter le trop-plein d’informations inutiles (e-mails, notifications, réunions...), instaurer des moments/réunions sans notifications, encourager les pauses régulières ». Mais focaliser sur ces aspects techniques ne suffira pas non plus : les analyses menées dans ce rapport soulignent en effet en premier lieu l’importance du soutien social et des relations humaines au travail. Le rapport se conclut ainsi : « Apprendre à gérer les flux de l’information plutôt que de se laisser submerger par elle est un défi de taille. Mais c’est aussi une opportunité de redéfinir ce que signifie travailler et vivre à l’ère numérique ».

 

Dans sa dernière publication sur le rapport au temps, l’ObSoCo nous invite à nouveau à voir dans ce défi « une formidable opportunité d’innovation sociale et économique ». Face à l’injonction à l’hyper-réactivité, plusieurs entreprises ont déjà pris le contre-pied dans leur offre commerciale ou leur politique managériale pour inviter à décélérer et à privilégier la qualité des relations sur leur quantité : « ces approches, loin d’être un frein à la performance, peuvent au contraire nourrir l’innovation et renforcer l’engagement des équipes ». En s’appuyant sur les travaux du sociologie et philosophe Harmut Rosa [7], L’ObSoCo nous invite ici à faire face à l’insoutenable « accélération » à laquelle nous mènent les outils numériques en développant des « oasis de résonance », des moments où les corps entrent en vibration profonde les uns avec les autres. Un éclairage salutaire à l’heure où le travail hybride nous fait confondre co-localisation (être localisé au même endroit) et co-présence (être présent les uns pour les autres) ...

 


[1] Plusieurs rapports récents :

  • OICN (2024). Référentiel annuel de l’infobésité et de la collaboration numérique. https://www.infobesite.org/referentiel-2024 (Mesure des flux numériques au sein de 10 organisations couvrants 10 000 travailleurs réalisée en 2024.)

  • Lecko (2025). État de l’art de la transformation interne des organisations !

    https://hello.lecko.fr/. (Mesure des flux numériques complétée par un sondage réalisé par Ipsos en 2023 auprès de 1000 personnes représentatives de la population active française)

  • ObSoCo/Fondation Jean Jaurès/ Arte (2024). La fatigue informationnelle : une nouvelle forme de pénibilité au travail. 

    https://www.jean-jaures.org/publication/la-fatigue-informationnelle-une-nouvelle-forme-de-penibilite-au-travail/. (Enquête réalisée en avril-mai 2024 auprès de 4000 personnes représentatives de la population de France métropolitaine âgée de 18 à 75 ans (dont 2405 actifs en emploi).)

  • Ifop /agir pour l’environnement (2024). Les Français et l’addiction au numérique. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2024/02/120555-Resultats.pdf. (Enquête réalisée en janvier 2024 auprès de 1423 personnes possédant un smartphone, extrait d’un échantillon de 1 515 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.)

[2]     ObSoCo/Fondation Jean Jaurès/ Arte (2022). Les Français et la fatigue informationnelle : mutations et tensions dans notre rapport à l’information. https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2022/07/fatigue-informationnelle.pdf

[3]     Voir à ce sujet Canivenc, S./Mailoop (2024). La déconnexion numérique en entreprise, Panorama des connaissances n°1, Edition 2024.

[4]     Les grandes entreprises et ETI du tertiaire ainsi que le secteur public y sont sur-représentés

[5]     Comme le note le rapport de l’ObSoCo, de la Fondation Jean Jaurès et d’Arte, le secteur tertiaire est dominant dans l’économie française (il y représente 77 % de l’emploi) et est particulièrement concerné par le développement des technologies de l’information.

[6]     ObSoCo (2025). Les Français et le rapport au temps. https://lobsoco.com/vivre-en-accelere/ 

[7]     Rosa, H. (2010), Accélération, Une critique sociale du temps. La Découverte ; Rosa, H. (2018), Résonance, Une sociologie de la relation au monde. La Découverte.


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